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Inès Poppe's diary
10 mars 2009

Nouvelle

Beauté Nordique


« Perdu jeudi 8 décembre, 2 heures du matin, Quai des Bateaux ivres, carnet bleu de petit format, fermé par un cadenas argenté. Très forte récompense promise. M. Arthur. 4 rue des Lilas, Paris. »

Nous somme le 12 décembre, j'enfile un pantalon, je mets la cafetière en route, elle fume, moi aussi, je vais chercher le journal dans la boîte aux lettres, je me sers un café serré, je regarde les gros titres, puis la dépêche, mon annonce vient de passer page 14 du Parisien et je ne peux me sortir cette fille de la tête. Il est sûrement trop tard, mon carnet a déjà été balayé par les vents. Et si je ne la revoyais jamais ? Et si elle était repartie en Pologne ? Se souvientt-elle de moi ? Mes pensées s'entremêlent, s'entrechoquent formant pour mon plus grand malheur un brouhaha infernal à l'intérieur de ma tête.


Tout avait commencé le samedi 8 décembre. Comme tous les samedis soirs, moi, Moshé Arthur, franco-israélien, artiste déchu, allais chanter à la Casa de Los Angeles. En entrant dans le bar bondé, une odeur enivrante de sangria et de cigares cubains fumés à la dérobée me chatouilla les narines. Je saluai Maria, la patronne du bar pour ensuite aller me préparer. Avant de monter sur scène, je pris mon verre de whisky habituel. Pour réchauffer mon cœur meurtri, gelé par les femmes. 20H53, il était temps que je monte sur scène. J'avais commencé par « Lachlom » pour changer, guitare en main, sourire aux lèvres. Je chantais en hébreux, comme pour me remémorer ces jours heureux passés en Israël. La routine me gagnait, je le savais, toutes les semaines se suivaient, s'enchaînaient, toutes plus semblables les unes que les autres. En repensant à cela, une certaine tristesse s'empara de moi, comme pour me rappeler que cette vie durerait toujours aussi monotone.

C'est alors que je vis une femme s'asseoir au bar. Elle commanda une vodka qu'elle avala d'un trait, puis une, puis deux. Enfin, elle remarqua que je la fixais, timidement certes, mais je la fixais. Elle fit de même à son tour. Son regard si intense, me mit mal à l'aise. A la fin du concert, quand je m'assis au bar, cette splendide blonde vint me complimenter à propos de mes chansons:

«- Moi aussi, je chante, tu sais, en polonais. Eh si tu prenais ta guitare, nous pourrions aller mêler nos voix sur les quais, me glissa-t-elle à l'oreille doucement. Mon nom est Svetlana, je viens de Częstochowa, en Pologne. » J'acceptai son invitation avec grand plaisir.

Nous nous promenâmes tranquillement sur les quais, discutant de nos vies, de nos origines, jusqu'au quai des Bateaux ivres. Je m'assis au bord, en face du port, les pieds ballotant  au dessus de l'eau. Je pris ma guitare et commençai à jouer, puis à chanter, elle fît de même. L'étrange mélange de nos deux voix donnait une certaine authenticité à l'instant. Elle fredonnait doucement, parfois même seul un léger souffle sortait de sa bouche. Je n'arrivais plus à détacher mon regard de cette femme à la beauté nordique. Ses longs cheveux blonds, presque blancs, et ses yeux d'un bleu profond me faisaient frémir.  Nous continuâmes de chanter, puis fiers de notre si belle composition, nous décidâmes de fêter cela. Elle sortit de son manteau une fiasque en métal de vodka. Nous avons alors bu à notre rencontre, puis à la musique, puis à la Pologne, à l'Israël, à la vie et enfin, à nous. Puis, je posai ma guitare sur la pierre, elle posa son regard sur mon visage, puis ses lèvres sur les miennes. Un sentiment étrange s'empara de moi, un bonheur intense je ne savais pas si cela était dû à l'alcool ou à l'étrangeté fascinante de cet événement. Quoi qu'il en soit, cette femme me captivait. Alors, je décidai de la dessiner dans mon carnet bleu dans lequel je croquais toutes mes plus belles rencontres. Ainsi, je ne l'oublierais jamais. Après vingt minutes de crayonnage, je lui demandait de me signer son nom sur le dessin. C'est à ce moment là que je me rendis compte que je ne me rappelais même pas son nom. Elle signa Svetlana.

Il était six heures du matin quand je me réveillai le lendemain. J'étais seul, frigorifié et allongé comme un chemineau sur un banc public. Il me fallut quelques minutes pour comprendre où j'étais. C'est après m'être remémoré la fin de la soirée que je compris que morts de fatigue, nous nous étions endormis l'un contre l'autre. Mais ce matin, la Polonaise était partie. L'amertume me gagna. Je voulus prendre mon carnet bleu pour contempler encore une fois cette femme, j'attrapai la clé autour de mon cou, mais j'étais incapable de retrouver ce fichu carnet. Il n'était plus dans l'étui de ma guitare. J'eus beau chercher pendant un bonne heure, rien. C'est bredouille que je rentrai à la maison, désarmé, impuissant, et incapable de me souvenir du nom de cette fille. Maria, la patronne du bar ne put rien me dire sur cette mystérieuse fille, à mon grand désespoir.

Et m'y voici, journal en main, buvant un café noir, n'attendant qu'une chose, qu'on me rapporte ce satané carnet chez moi! Trois jours passent sans nouvelles. Je ne pense qu'à elle. Tout à coup, alors que je regarde avec le plus grand dédain, un match de football Paris/Lille, on frappe à ma porte. C'est elle, elle me tend le carnet avec un sourire enfantin. J'ai tellement envie de la revoir que je ne lui laisse rien dire et lui propose de nous revoir demain, square du Soupirant. Elle m'explique rapidement avant de me quitter pourquoi elle m'a abandonné quelques jours auparavant et me dit que pour savoir la raison pour laquelle elle a volé mon carnet, il suffit que je regarde à l'intérieur. C'est ce que fait une fois qu'elle fut partie. A côté de son portrait, elle a écrit les paroles d'une chanson en polonais. Évidement je n'y comprend rien, mais cela me rappelle à quel point je tiens à cette jeune femme.

Le lendemain matin, je me lève plus heureux que jamais, pensant à la soirée qui s'annonçe. Comme d'habitude, j'enfile un pantalon, je mets la cafetière en route, elle fume, moi aussi, je vais chercher le journal dans la boîte aux lettres, je me sers un café serré, je regarde les gros titres, l'un attire tout particulièrement mon attention. En première page: « Une jeune femme polonaise, Svetlana Karacopova, a été retrouvé morte dans le port, assassinée la nuit dernière, quai des Bateaux ivres. »

Inès Poppe

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